Pourquoi vivre une vie sans relief, si on peut vivre grand, beau et à moindre frais ? Ou le mensonge, comme art de vivre.

Certains jouent du piano, d’autres font rouler des billes sur le terrain gravillonneux d’un chemin de campagne, certains nagent dans la mer, d’autres se droguent. 


Moi je mens. 

J’aime le mensonge.

 

Chez moi, cela relève du dada, du hobby, de la passion. 

Je mens sans cesse. 

Jamais je n’arrête. 

Je mens pour tout, depuis toujours. 


Des petits mensonges de rien du tout, des mensonges superflus.

Le menu de mon déjeuner, les heures que je n’ai pas pris à travailler, le film que je n’ai pas aimé mais que je jure que j’ai adoré, ma médaille d’or au championnat de tennis dans la catégorie minime en 1988, les nombreux pays où je dis être allée sans jamais y avoir mis les pieds. 


Jusqu’au gros beau mensonge, à la magnifique supercherie : avoir deux amants et un mari, habiter une fusée, travailler dans une banque, posséder un Pissaro, vivre sous les ponts, publier des livres, lier une amitié avec le président, être secrètement aimé par lui, vivre dans le désert du Texas et être en transit… en fonction de mes interlocuteurs, en fonction de mon âge, en fonction de mon humeur.


Mensonge unique, mensonge à répétition, tout est bon à prendre. Je prends, je prends, je prends.  


Je pourrais dire du mensonge que c’est un plat pimenté qui relève l’existence. 

Je pourrais dire aussi que c’est un anxiolytique, un antidépresseur. 


Pourquoi vivre une vie sans relief si on peut mentir grand, beau, dramatique, tragique et cela à moindre frais, sans faire mal, sans quitter l’autre, sans mort, ni préjudice ?


Le mensonge étire le temps ou à l’inverse il l’efface d’un mot, d’une parole. 

Il fait éclore le printemps à tout moment dans cette nécessité absolu d’ivresse. 

Le monde me plonge dans la perfection sublime d’un au delà de l’existence. 

Pourquoi ne pas creuser la réalité, d’un sillon de rêve ? 


C’est un geste altruiste que de mentir, une façon de se ne pas se conformer au monde tout en faisant croire le contraire. Car point de mensonge sans auditoire.


Le mensonge nécessite du doigté, de l’habilité, de l’adresse, de la logique, de la mémoire, de la cohérence, de la crédibilité et de l’organisation.  Il faut tout consigner. 


Le mensonge doit être vécu entièrement. On doit s’y impliquer corps et âme, ne vivre que pour et par lui. Le mensonge doit se lover dans l’existence. Prendre plus que sa part, la rançonner. Sans expérience absolue du mensonge alors rien ne tient. Le mensonge est exigeant. Il ne supporte aucune faute, ni maladresse, ni négligence, et certainement pas la médiocrité.  


On ne peut mentir sans prendre le risque de se faire démasquer. Le système vole alors en éclat, détruisant par la même son créateur. A savoir, dans le cas présent, sa créatrice. 

Si le système s’écroule, la réalité qu’on avait justement réussi à mettre à distance revient en force, violente, fracassante et déchaine la haine des autres pour soi. Et la haine de soi qu’on avait mise à distance grâce au filtre qu’est le mensonge nous explose et nous anéantit. 


Quand le système s’effondre au mieux on se retrouve ko sur le tapis. 

Au pire, au pire;, c’est la fin. Mettre fin à un mensonge, c’est mettre un terme à sa vie. 




Elle est assise face à lui, une cigarette coincée entre un index et un majeur qu’elle approche de ses lèvres. Son masque est descendu sous le menton. 

Il semble posé sur une chaise, une paire de lunette sur le front, un stylo qu’il laisse en suspens dans les airs comme s’il prenait la mesure d’une chose qui lui échappait. 


« … Et comment avez vous arrêté de mentir ? 

- J’ai arrêté de mentir de trois façons. 

La première, en allumant une cigarette, c’est une autre forme d’illusion que de voir sa vie partir en fumée devant soi. 

La deuxième façon d’arrêter de mentir, ça a été d’écrire des romans. 

Et la troisième ? 

La troisième fut de jouer au Sims. 

Un monde que l’on invente, qu’on réinvente avec une maitrise parfaite des personnages. 

J’aurais pu me remettre à jouer à la poupée mais j’ai préféré les Sims qui avaient un plus grand potentiel de mensonges car plus proche de la réalité. »






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