L'encre serait de l'ombre


Devant la fenêtre, le nuage charge le ciel de sa masse opalescente. Il agit comme un globe enfermant une ampoule que serait le soleil. Matière floue et aérienne, contour doux et tendre. Une queue de coton le prolonge qu’on s’amuserait à tirer pour l’éteindre. Encombrant, énorme, monstrueux et aussi majestueux, joufflu, enfantin. 
Dans une coulée tranquille, il glisse comme une barque au grès du courant des eaux célestes, il se balade, se promène sous mon regard rassuré. Il ne fuira pas, il est captif. Mon regard et lui sommes comme attachés. Dans nos yeux, le même ciel se reflète. 
Son visage serein me réconforte, m’apaise. Son corps bonhomme pourrait m’étreindre et je le laisserai m’étreindre. Si j’étais un poisson, je me laisserais enfermer dans cet aquarium aux parois embués. 
Le nuage laisse passer un peu de ciel. Les caresses du vent le transforment. 
Le flocon blanc s’étire un peu et se tache de bleu et de nacre, d’un peu de pastel. Des motifs apparaissent. Dans ses reliefs, une ombre nait. 
Si je le touchais, je le sentirais tiède et humide, imbibé d’une chaleur moite.  Si je le sentais, je humerais un parfum de chèvrefeuille détrempé à la tombée du jour. 

Son regard est si tendre. Je le sais myope. Le vent est capricieux, il souffle d’un souffle fort. Le nuage se déforme, perd de sa rondeur, maigrit, s’allonge, devient plus racé. Une voiture de course, il filerait presque, puis freine brutalement, comme s’il était arrêté par un feu de croisement. Le vent a stoppé. Le nuage semble avoir laisser le soleil s’échapper d’une trappe. 
Le nuage n’est désormais qu’un amas gris sombre, un clochard rotant, le manteau couleur d’ardoise aux pans déchiré, faisant la manche le dos appuyé contre le mur d’un immeuble haussmannien et la bouteille coincée sur une bouche hurlante. 

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