Le passage à l'acte

Elle montait les escaliers. 
Comme tous les jours elle montait les escaliers. Elle montait les escaliers et comme tous les jours elle se sentait une pression atmosphérique monter d’un isobare dans sa tête. 
A chaque marche, elle hissait son corps avec effort. 

Son pauvre corps tout bouffi de travail et d’années qu’elle avait passé à traiter à la javel les cages d’escaliers. 

Elle montait avec son seau, son balai et sa serpillière. Son seau jaune aux bords racornis comme une vieille bougie, son balai à l’embout usé, sa serpillère grise d’une vieille poussière toute incrustée. Et elle frottait sauvagement le carrelage qui puait l’eau de sa serpillère qu’elle ne lavait plus, à quoi bon. 

Lui poussait une migraine depuis quelques heures. Et au premier étage qui débouchait sur un couloir, elle trouva les poubelles puantes devant la porte du voisin du A1, le chien du A2 qui aboyait et que ça sentait la pisse, pauvre bête, z avaient encore oublié de le sortir. Un chien jaune, poil ras qui hurlait à la mort, le gosier levé, la truffe molle et rose. Elle le trouvait dégueu ce chien.  Elle préférait de loin les petits toutous touffus. 

Puis forcément y avait les voisins du A3 qui s’engueulaient avec N’oubliez pas les paroles pour tenter avec des chansons de camoufler la misère de leurs disputes. Ouais cache-misère. Putain. Putain. Et elle lave un petit coin par ci et un par là. Elle met sa trainée d’eau de javel croupie pour dire Ouais les gars je vous oublie pas, vous me faites chier, mais je m’occupe de tout. Faudrait pas qu’en plus ils songent à m’virer
Ah, elle se dit Les temps qu’on vit

Et la migraine qui vient l’aveugler pendant qu’elle continue l’ascension difficile avec le seau jaune, le balai, la serpillère. Entre le deux et le trois, les jeunes du troisième viennent la bousculer. Et mais c’est qu’on s’excuse même pas ! Mais c’est quoi ce bordel ! Vous voulez que je vous mette mon balai dans le derrière, petits couillons va, putain. Putain. C’est quoi ce bordel. 

Au deuxième, il y a le môme qui vient de naitre. Y en a combien, on dirait une portée de chiots tellement ils sont une tripotée. Faudrait les castrer tous ces bons à riens. Un bon coup de ciseau et hop. Fini. Et on fait pareil avec leurs gnomes et on en parle plus. Ca y est. 

Et l’idée rampe dans la tête. Troisième étage. Le pompon. La femme parfaite qui couche avec la voisine parfaite et que dans la journée pendant que le mari part bosser ben voilà-t-y pas qu’elles s’époumonent ces deux gouinasses. Des obsédées. Putain. Putain. Elles baisent que c’est une honte. Et sur la terrasse, elles se foutent à poil sur leur transat et moi quoi, hein avec mon balai, mon seau jaune, ma javel, quoi moi et elles, là à se prélasser. Nan trop c’est trop. C’est trop. 

La migraine vient lui fendiller la boite crânienne, lui enfoncer des longs clous dans les tempes. 
Le seau devient pesant et branle dangereusement, et l’eau se renverse sur le sol. Aie ma tête. 
Putain. Putain.. Elle chuchote. 

Le chien qu’elle entend depuis le premier se met à hurler bien plus fort. Une ambulance passe avec sa sirène hurlante elle aussi.

Elle redescend au deuxième étage. 
Le balai devient dérangeant dans l’escalier. 

Les enfants du B2 crient dans le couloir on vient de leur ouvrir la porte. Libérés comme des insectes derrière une fenêtre, ils se mettent à crier dans la cage d’escalier, montent les escaliers, les descendent, la frôlent, la moquent. Oui la moquent. Il y en a bien une dizaine. Tu pues madame Putois. Tu pues madame Putois. Nananère. C’est quoi ça putain de ta mère. Zavez quoi vos parents dans la tête pour vous fabriquer ! Zetes des macaques. Tu pues madame Putois !!! Pan tu vas voir ce que tu vas voir. Putain, vous êtes des punaises ! Je vais vous écraser avec mon balai. Vous allez voir ce que vous allez voir et elle les zigouillent, les écrasent, les tues avec son balai, il n’en reste pas une miette. Allez voir ce qu’elle vous dit madame Putois

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