La vie est un film dans lequel on n'a pas de rôle

La vie se déroule sous tes fenêtres. 

Des voitures passent et des gens marchent. 

On est le 11 juin quand tu prends la décision de descendre dans la rue. 

On enfile un manteau et c'est tout, on ouvre la porte, c'est tout ce qu'il y avait à faire, poser ta main sur la clenche, c'est tout, juste ça. Cela fait des mois qu'on y pense. On n'y était pas arrivé jusque là. 

On ne fait grincer aucune marche de l'escalier quand on entreprend de le descendre. 

On a mis un manteau, et pourtant il fait chaud, on est en juin. On as besoin d'un manteau comme s'il était une carapace. Le manteau est en gabardine noire. Il traine presque sur le sol. Il donne un air de corbeau. 

On est au mois de juin, on a besoin d’un manteau comme si on mettait sa cuirasse. 

 Il y a quelque chose de gris dans l’atmosphère. Du trottoir au ciel. Tout est teint de gris. 

Comme si le monde était pris dans un nuage.

Une grappe d’adolescents est adossée au mur de l’immeuble d’en face, l’un d’eux a une jambe repliée sous sa cuisse. La jambe en l’air comme un flamand rose. Mais lui aussi est gris. Ils bavardent, ils rient. Ils rient. On n’entend pas le rire, mais on voit leur bouche s’ouvrir comme si la bouche était un trou, comme si le trou était un puit dans lequel on pourrait se faire aspirer, on pourrait se faire engloutir toute entière. On n’entend pas le rire, c’est un rire muet, comme si on regardait un film muet. La vie est un film qui se déroule sous les yeux. On n’en est que spectatrice. On ne fait pas partie du film. On ne fait que regarder sans entendre, que regarder la vie comme un film dans lequel on n’aurait pas de rôle. La vie ne nous appartient pas. On en a été dépossédée. On n’a pas le droit d’en être. Le monde est sans regard. Le monde n'a pas de regard pour soi.  

On se sent transparente, on est transparente, une ombre insignifiante.