Platane encore

C’est tout juste avant le départ, alors que déjà s’entassaient dans la voiture, les bagages et le chien - un berger de brie au pelage clair, à la truffe humide noire et ronde que j’aimais par dessus tout - C’est tout juste avant le départ donc, alors que plus rien ne pouvait retarder l’heure à laquelle nous allions quitter le sud pour la rentrée à Paris, que l’échelle n’allait pas tarder à retrouver le garage, que j’entreprenais sa dernière ascension. L’échelle branlante ne me faisait pas peur. Elle était faite du même bois que lui. De ce bois solide et lumineux qu’est celui du platane et mon corps entier s’engageait dans la montée. Mes pieds et mes mains agissaient parfaitement pour l’accomplir. Chaque mouvement pour l’atteindre était scrupuleusement dosé. 
Tout chez lui était puissance. Il était musculeux, évasé, une tête énorme, une chevelure en éventail. Le feuillage filtrait la lumière qui tombait en tâches claires sur ma peau et sur son écorce de couleur chair qui semblait dénudé. Et de sa puissance émanait une humanité dont beaucoup d’hommes et de femmes semblent dépourvus. L’arbre avait mille attentions à mon égard. Sa cambrure généreuse venait m’accueillir sur un tronc trapu et lisse. Entre ses branches gigantesques, il y avait une sorte de plateau comme un bassin, où je pouvais selon mon désir me coucher et rêvasser caressée par ses feuilles immenses comme de larges mains effleurant ma peau ou faire salon et alors je dégustais les fruits tout juste cueillis des arbres du verger, des poires ou des pêches gouteuses et des abricots que je prenais soin d’ouvrir en deux pour vérifier qu’ils n’étaient pas habités par un ver. Le jus des fruits venait goûter sur mon menton que j’essuyais d’une de ses feuilles d’un vert tendre. 
J’aimais me lover en lui. 
Quand je fus plus experte, je montai à califourchon sur ces branches pour y lire de longues heures dans la tendresse de ses feuilles. Et dans mes narines, l’odeur piquante de sa sève affluait entêtante. Les jours de mistral, les branchettes ramifiées à son extrémité allaient et venaient comme si elles avaient été gagnées par une folle passion. Ces jours-là le vent faisait parfois taire les cigales avec qui je le partageais.  


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