Un cerisier derrière le mur

Devant elle, Mathias, son voisin, les genoux avec des croutes dessus. Il tombe toujours dans la cour avec les gravillons. Il les gratte et ça saigne. Il y met le doigt et suce le sang. On a aussi une croute derrière l’oreille, on la gratte et ça saigne mais on n’aime pas le goût du sang alors on ne met pas les doigts dans la bouche après. On garde le sang sur ses doigts et on fait de la peinture sur une pierre avec. Vincent sort de chez lui. Sa maison est au fond de la cour. Il court les rejoindre. On compte : moi, un, Vincent deux, Mathias, trois. Trois dans la cour, les autres sont grands, les devoirs tout ça. A quoi on joue ? On attend les autres ? Vincent a les cheveux tout collés. Il a mis du gel. Elle veut toucher. C’est pas gelé ! C’est même pas froid ! C’est tout dur ! C’est pour enlever mon épi, Vincent dit. Pourtant, on en est certaine, il n’a pas de maïs dans les cheveux. Ils rient. Leur rire crépite. Puis ça s’arrête. Ils se mettent à marcher côte à côte en faisant des cercles. Tous les trois, les bras comme des ailes. Puis les bras s’abaissent. Ils s’arrêtent. C’est nul. On joue à chat ? On n’a pas envie de jouer à chat, on n’a pas envie de courir. Et si on mangeait des cerises ? Mais n’importe quoi, y a pas de cerises dans le jardin, mais si y en a.

Ils s’approchent de l’arbre derrière le mur. C’est vrai que dessus poussent des petites boules rouges. On ne savait pas que cela pouvait être des cerises. On ne lui avait jamais dit avant ! Matthias lui dit vas y prends, mange. C’est bon ? Oui c’est bon. Elle enfourne tout à la fois. Quatre cerises… encore ? Mathias lui en cueille dix de plus. Lui, n’a pas faim il ne mange pas. Vincent n’aime pas les cerises. On court à la maison, pour leur dire, que dans le jardin il y a des cerises et pourquoi jamais on les a mangées avant ? Son frère est allongé sur le lit, il est tout jaune, le docteur est avec lui parce qu’il est tout jaune. Sa mère aussi est avec eux. Maman, y a des cerises dans le jardin ! Quoi ? Ses yeux deviennent un peu grands ! Elle dit qu’il n’il n’y a pas de cerisier ! Elle lui dit comme si on la grondait qu’il n’y a pas de cerisier. Elle fait les gros yeux maintenant. On a peur d’avoir fait une bêtise. On ne répond rien quand sa mère lui demande si on en a mangé. On ne lui dit pas qu’on a mangé des cerises. Sa mère regarde le médecin qui la regarde aussi. Ils se parlent puis sa mère s’approche et lui demande d’ouvrir la bouche. On pince ses lèvres pour ne pas l’ouvrir. Le médecin s’approche, se penche à sa hauteur, lui sourit et lui parle sur un ton doux très doux comme une berceuse. Il lui demande si on sait d’où proviennent les taches rouges qu’elle a autour de la bouche et sur les lèvres, et on lui répond que non, qu’il n’y a pas de tâches. Le docteur lui prend la main et la place devant le miroir et là on est bien obligée d’admettre qu’on voit bien des tâches rouges autour de la bouche et même sur les joues, et qu’on a mangé des cerises dans le jardin derrière le mur. Le docteur arrête de sourire, se redresse et dit à sa mère qui les a suivi dans la salle de bain de ne pas perdre une seconde. On la place dans la voiture à l’avant, sans prendre la peine de lui mettre la ceinture. Et le docteur colle au dessus de la voiture, une lampe qui fait de la lumière rouge et qui émet un son très fort et on trouve ça amusant de voir les voitures se garer pour les laisser passer. Les immeubles défilent très vite et en conduisant le docteur passe un coup de téléphone puis il leur explique qu’il les conduit au centre antipoison. Quand ils y arrivent, ils se retrouvent assez vite dans une petite pièce avec des bancs en bois tout autour et des paterres comme à l’école, un peu. Il y a une dame dans la salle, elle est assise. Ses cheveux sont noirs avec la raie bien sur le côté. Et ses lèvres font une ligne tellement elles sont serrées. Elle les regarde tour à tour, elle et sa mère et elle leur dit bonjour presque sans remuer les lèvres, juste avec un petit trou pour laisser passer l’air. On demande à sa mère de la déshabiller, et sa mère la déshabille et suspend sa robe et son chandail mais sa culotte et ses chaussettes, les blanches avec de la dentelle, on peut les garder. Par contre les chaussures, il faut les retirer. Le docteur doit s’en aller, il se baisse pour lui dire au revoir et serre la main de la mère en hochant la tête et en lui disant de le rappeler plus tard. On attend avec sa mère sur le banc en bois. Elle entend des cris venir de la pièce à côté. Et à chaque fois, la dame place ses mains sur ses oreilles. Sa mère et elles sont assises côte à côte. Leur cuisse plaquée l’une à l’autre. Sa mère lui prend la main, on trouve les mains de sa mère froides. On lève les yeux vers les siens, sa mère a l’air très triste et ne lui dit pas grand chose à part qu’elle lui demande très souvent comment elle se sent. On ne sent rien. Mais on entend les cris de l’autre côté du mur. Deux dames sortent alors de la salle d’à côté avec un garçon aux cheveux noirs, de la même taille qu’elle, en chaussette, comme elle et en culotte, comme elle. Et comme elle, le reste de ses vêtements pend au dessus du banc. Un bermuda bleu marine et un polo vert. Ses yeux sont très rouges. Il a la tête basse et regarde le carrelage. Sa mère vient le prendre dans les bras. Et il se met à pleurer très fort. Les deux dames ont des sabots qui claquent sur le sol, les cheveux tiré derrière la tête et une blouse rose, sur lequel il y a écrit en lettres brodés pour l’une Amélie, pour l’autre Chantal. Sa maman lui a déjà appris à lire. Une des dames s’approche et lui prend la main, l’autre parle à sa mère qui fait un geste pour les suivre. Elle lui demande de rester. La mère la serre très fort dans  les bras. On se sent un peu comprimée. On a du mal à respirer. La dame la tire en avant. Ses deux pieds se bloquent. On refuse d’avancer. L’autre dame la pousse par l’arrière et l’y oblige. Elles la font entrer dans l’autre salle, celle d’où provenaient les cris et qui est très vide et petite. Au fond, il y a une fenêtre mais on ne voit rien à cause des voilages un peu sales qui pendent. La dame qui s’appelle Amélie vient lui parler, elle aussi à une voix de berceuse. Elle lui dit de ne pas s’inquiéter. L’autre, celle qui s’appelle Chantal a un drôle de tuyau dans la main comme du caoutchouc orange. Devant elle, on place une bassine, en fer. On n’en a jamais vu comme ça avant. Amélie, encercle ses bras avec les siens. On ne peut plus bouger. Et Chantal demande à un homme qui vient d’entrer avec un ventre gros comme un ballon de venir les aider. Et pendant que l’homme l’oblige avec ses deux mains à mettre son menton en l’air, Chantal glisse le tuyau orange dans sa bouche et on se met à crier très fort, on n’a jamais crié aussi fort. Ses yeux vers le plafond sont inondés de larmes. Mais personne n’y prête attention. Le tuyau descend, on le sent descendre dans sa gorge, et plus loin encore, on sent le tuyau descendre jusque dans son ventre. Et, enfin progressivement, le tuyau ressort et on sent à nouveau la brûlure dans son ventre et dans sa gorge et l’envie de crier, sans qu’on n’y arrive. Les mains sur son visage se retirent, les bras autour des siens se desserrent et on se met à vomir dans la bassine toutes les cerises englouties, les cerises, des cerises comme la pomme dans Blanche-neige. Des cerises empoisonnées.

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